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forcé la main au roi, renversé coup sur coup les ministres honnêtes, et menacé le roi lui-même de l’entraîner dans leur chute, venait de proclamer unanimement (à l’exception de M. Thiers lui-même, mais sans exception de ses plus intimes amis) la mesure de la guerre extrême qui consistait dans la croisade universelle des banquets politiques organisés dans tous les départements. Cette croisade d’opposition, à laquelle j’avais refusé hautement de m’associer, comme dépassant les limites d’une opposition légale et touchant aux factions, triomphait partout, semant l’agitation dans le pays. Je résolus de dire enfin mon opinion personnelle dans une occasion pour ainsi dire privée, qui eût le mérite de me donner la parole dans une grande latitude, sans avoir les inconvénients ni le caractère d’une faction. Cela m’était aisé. Le livre des Girondins avait paru ; son succès jusque-là sans exemple avait agrandi mon nom jusqu’aux dimensions d’un nom populaire.

La ville de Mâcon, dont l’administration était dans les mains de mes amis, m’offrit de me recevoir avec une congratulation solennelle, sous la présidence de son premier magistrat, M. Rolland, jeune homme de mérite et de dévouement, qui ne craignit pas de se compromettre en acceptant la haute direction de ce banquet. Aussitôt que le bruit de cette fête se répandit, tous les hommes politiques ou littéraires du pays et des départements voisins s’y donnèrent rendez-vous et y accoururent en masse de trois à quatre mille personnes. La ville de Mâcon construisit sur les bords de la Saône une tente assez vaste pour contenir cet immense auditoire, et le peuple, qui m’aimait et qui jouissait de ma renommée, se pressa en foule aux abords du banquet.