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MADAME DE SÉVIGNÉ.

amies, et sur lesquelles il se réservait de répandre les faveurs de sa prédilection et de sa toute-puissance. On attribua à cette découverte, dont madame de Sévigné était parfaitement innocente, la froideur que Louis XIV témoigna constamment à madame de Sévigné, la femme la plus éminente de son siècle. Louis XIV ne pardonnait jamais volontiers deux torts aux hommes et aux femmes de son entourage : le tort d’avoir trempé dans la Fronde, et le tort d’une trop éclatante supériorité d’esprit. Tout éclat qui ne servait pas à relever le sien l’offusquait. Il aimait le talent, mais à condition de l’enchâsser comme un ornement dans sa couronne. L’adulation était et ses yeux la première condition du génie.

Madame de Sévigné avait l’esprit courtisan, mais elle n’avait pas le cœur servile. L’infortune de Fouquet ne fit que raviver son inclination et sa reconnaissance pour lui. Elle ne sacrifia rien de son attendrissement et de sa pitié à sa complaisance d’opinion pour le roi. Elle témoigna aux disgrâces du surintendant un intérêt si tendre et si hardi, qu’il s’éleva jusqu’au murmure et jusqu’à l’opposition contre ses persécuteurs. Elle fit partie de cette faction de la fidélité et du malheur qui suivit Fouquet jusque devant ses juges et jusqu’à son cachot perpétuel. C’est la chaleur de ce sentiment qui fit éclater, pour la première fois, son ardeur épistolaire dans sa correspondance de tous les jours avec les amis de son ami. Son amitié lui révéla son talent : tout, même la renommée, devait avoir une source pure dans ce cœur né pour les sentiments doux. Ceux qu’elle exprime pour Fouquet ont un accent qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans ses lettres : c’est l’accent d’une pitié si tendre pour l’infortune, qu’on peut le confondre avec l’accent d’un amour contenu.

Louis XIV n’en était pas encore arrivé à cette possession hardie de despotisme qui lui permit, plus tard, tant de