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MADAME DE SÉVIGNÉ.

balternes comme incompatibles avec celles qu’il lui destinait. Il fallait, de plus, attendre pour sévir contre lui qu’il eût fait rentrer dans le trésor public, à une époque encore éloignée, les millions nécessaires aux services publics, que son agiotage seul y faisait affluer. Une circonstance hâta le dénomment, mais sans en être la véritable cause.

Un jour que Louis XIV avait accepté une fête du surintendant en son honneur au château de Vaux, le jeune roi, en parcourant les appartements secrets de cette magnifique demeure, aperçut dans un cabinet de tableaux le portrait de mademoiselle de la Vallière, objet de sa première passion publique. Fouquet avait eu l’audace de l’aimer et la témérité de la faire peindre. Le roi, indigné de cette profanation de ses amours, se retira le ressentiment dans le cœur ; mais il n’éclata pas encore. Sa mère fit avertir Fouquet par la duchesse de Chevreuse de se défier de la feinte sécurité qui l’entourait. Le roi redoubla de faveur et de fausse confiance pour détourner son ministre de ces pressentiments. Fouquet, tremblant de trop croire à son empire ou de trop s’en défier, flottait entre la pensée de se réfugier en Italie ou de s’enfermer dans Belle-Isle.

Il partit pour Nantes dans cette perplexité. C’était là, hors de Paris et loin du parlement, que le roi avait résolu de l’atteindre. A peine Fouquet était-il parti, que Louis XIV, se défiant lui-même de tous les instruments de son autorité, peut-être vendus secrètement à Fouquet, appela un officier obscur de sa garde, et lui donna l’ordre d’arrêter le surintendant à son arrivée à Nantes. L’officier partit avec dix cavaliers sûrs, devança le ministre à Nantes, et le ramena prisonnier à Paris. Ses papiers saisis, portés chez le roi et scrutés par lui seul, livrèrent à Louis XIV le secret des trames, des amours, des ambitions de Fouquet. On dit que le nom de madame de Sévigné se trouva parmi les noms des femmes qu’il comptait au nombre de ses