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MADAME DE SÉVIGNÉ.

avenues, plantées de vieux arbres sur les bords et pavées de gros blocs de pierre fruste, y aboutissaient du côté qui regarde Vitré. La maison était et elle est encore composée d’un donjon peu exhaussé, flanqué de deux larges tours dont les corniches sont bordées de têtes de monstres sculptées grossièrement dans la pierre. Une troisième tour contient l’escalier en limaçon, éclairé par des fentes dans les murs massifs qu’un jour oblique traverse d’étage en étage. De vastes salles nues, voûtées ou plafonnées de noires solives, reçurent les jeunes époux. Ils y vécurent plusieurs années, dans une retraite occupée, pour madame de Sévigné, des soucis de sa tendresse, et, pour son mari, des soins de sa fortune à rétablir et des distinctions que sa province natale offrait a un gentilhomme déjà.promu aux grades élevés de l’armée.

Au mois de mars 1647, elle accoucha aux Rochers d’un fils, héritier du cœur et de l’esprit de sa mère, et qui, s’il ne fut pas la. passion, fut du moins l’amusement et la consolation de sa vie. L’année suivante lui donna une fille qui fut depuis madame de Grignan, et que sa mère a immortalisée de sa tendresse. M. de Sévigné, que la dernière guerre de la Fronde avait rappelé à l’armée, l’attirait à Paris. Elle y revint avec ses deux enfants au moment où la régente Anne d’Autriche y rentrait triomphante avec le jeune roi, sous la protection de Mazarin.

Les guerres civiles avaient porté jusque dans les villes la licence soldatesque des camps. Le marquis de Sévigné s’attacha à une beauté célèbre dont l’existence rappelait à Paris les grandes courtisanes historiques d’Athènes ou de Rome ; profession admise à des conditions de honte dans les civilisations païennes, mais incompatible avec les mœurs chrétiennes, qui allaient devenir si austères peu de temps après. Cette exception avouée à la décence publique dans deux courtisanes presque contemporaines, Marion