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MADAME DE SÉVIGNÉ.

sance d’un nom qui vit et qui fait revivre toute la contrée morte à laquelle il a été une fois identifié !

Toutes les pages du livre chéri de ma mère, depuis longtemps fermées, se rouvrirent et se répandirent en intarissables émotions de souvenir ; mais aucune page ne valait pour moi celle que le hasard venait d’écrire et de peindre dans cette vallée sous mes yeux.

Un autre hasard servit mieux encore ma piété historique pour cette mémoire, qui se confondait dans mon cœur avec celle de ma mère. Le propriétaire actuel du château et des bois de Bourbilly était un ami de mon compagnon de chasse. Il nous reçut en hôte cordial, heureux de secouer la poussière du monument dont son culte pour madame de Sévigné l’avait rendu possesseur, et, de nous conduire pas à pas sur toutes les traces que cette famille, devenue par le génie la famille de tout le monde, avaient laissées dans ces sillons, dans ces allées, dans ces salles et ces écussons, et dans ces toiles enfumées suspendues aux murs du château. Nous passâmes deux jours et deux nuits dans ce pèlerinage de souvenirs et de sentiment. L’histoire de madame de Sévigné partait de la à l’âge de dix ans, et revenait là dans sa vieillesse ; c’était le cycle de sa vie : il n’y avait qu’à regarder et à lire pour revivre avec elle toute cette vie.

C’était la en effet qu’elle était née, ou du moins qu’elle avait été allaitée et bercée au printemps de l’année 1626, époque où sa mère, qui l’avait mise au monde pendant un séjour à Paris, la rapporte dans ce nid de famille ; c’est là que ses yeux s’étaient ouverts à la lumière, qu’elle avait essayé ses premiers pas sur ces dalles, balbutié les premiers mots sous ces voûtes, reçu, pendant les années où l’âme émane des lieux, les premières impressions de cette nature, joué dans ces prairies comme le chevreuil de ces forêts, et respiré, avec cet air élastique et toujours fris-