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MADAME DE SÉVIGNÉ.

mystères ; c’est ce qui fait enfin que ce livre, quoique éminemment national, ne sera jamais populaire. Si madame de Sévigné, au lieu d’être une femme de haute naissance écrivant pour des courtisans, n’eût été qu’une tendre mère vivant dans les conditions communes de l’existence et écrivant pour une famille d’un étage plus bas dans la vie, son livre, plus accessible, plus intelligible et plus sympathique à toutes les classes qui ont une âme, ne serait pas seulement les délices du monde raffiné, il serait le manuel de toutes les familles, le diapason du cœur humain.

Qu’on nous pardonne un souvenir d’enfant qui tient à ce récit ; nous avons appris a lire dans ce livre ; une mère, élevée dans les élégances d’esprit d’une cour, et reléguée après sa jeunesse par la modicité de sa fortune dans une retraite rurale semblable aux Rochers de madame de Sévigné, trouvait dans cette femme, outre les analogies d’esprit et de cœur, tous les souvenirs du monde aristocratique qu’elle avait fréquenté, tous les recueillements de la solitude champêtre qu’elle habitait avec ses enfants, et tous les épanchements pieux de son cœur de mère qui couvait un nid contre les vents de la vie. Ce livre, ouvert, fermé, rouvert à toutes les pages, était sans cesse sur la tablette de pierre fruste de sa cheminée. Quand nous avions bien mérité du jour par nos leçons bien apprises sous les arbres du jardin et bien récitées sur ses genoux, on nous récompensait en nous lisant quelques lettres choisies et appropriées à nos années, celles surtout où la mère parle à sa fille de ses bois, de son allée, de son chien, de ses rossignols, de sa piété, de ses méditations religieuses au coucher du soleil sur la terrasse de Livry, de son oncle, l’obligeant abbé de Coulanges, de ses amis et de ses voisins venant la distraire de ses plantations ou de ses rêveries du soir. Nous connaissions les sentiers des Rochers et les parterres de Livry comme ceux de notre petit do-