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MILTON.

Le dernier ami qui le visita avant sa fin raconte qu’il habitait une petite maison retirée et silencieuse, à l’extrémité d’un faubourg de Londres, près des prairies qui se confondent avec la ville. Les degrés de l’escalier qui montaient à sa chambre étaient recouverts d’un vieux tapis, pour que le bruit des pas de ceux qui montaient et descendaient ne troublât pas ses rares sommeils. Il trouva Milton vêtu d’un manteau court et de couleur sombre, assis près de la fenêtre, les coudes appuyés sur les bras d’un siége de bois. Il n’avait plus que peu de soleils à compter ainsi sur la terre. Il s’éteignit sans douleur et sans agonie dans la nuit du 16 novembre 1674.

Il fut enseveli, par les soins de sa femme et de ses filles, à côté de la tombe de son père, dans la petite église de Saint-Gilles ; la crainte de dire trop ou trop peu dans l’épitaphe d’un ennemi des Stuarts régnants empêcha de rien inscrire sur sa pierre, même son nom. Cette pierre anonyme ne conserva sa notoriété que par tradition de la paroisse, parce que sa femme et ses filles venaient souvent s’y agenouiller. Celle du Tasse, à Saint-Onuphre, porta du moins son nom ; mais le chantre de Clorinde ne laissait que des larmes, de l’amour et point de ressentiments politiques après lui. Il n’avait été qu’armant et poëte. Milton avait été de plus homme d’État. Il portait la peine de son double génie.

La veuve de Milton languit dans l’obscurité et dans l’indigence, et mourut d’isolement peu d’années après lui. Les filles épousèrent de pauvres artisans du faubourg qu’elles avaient habité avec leur père.

Deux de ces artisans étaient tisserands. Les filles de Milton tissèrent la toile avec leurs maris. Trente ans après sa mort, quand le Paradis perdu, longtemps inconnu, fut devenu célèbre ; quand ses compatriotes, par une de ces vicissitudes qui exhument les livres comme les hommes,