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MILTON.

des fleurs ; et, quand il se fiait au bras de sa femme ou d’une de ses filles, il marchait droit et ferme dans les sentiers des collines voisines de Londres, écoutant avec délices tous les bruits de la campagne, et surtout le chant des oiseaux.

Seulement, lorsque ses vieux amis du temps de Cromwell l’entretenaient de leurs anciennes passions politiques, et que le nom de Charles Ier revenait dans la conversation, on croyait voir passer un nuage sur sa belle physionomie. Toujours républicain, il déplorait l’évanouissement de son rêve, que l’inconsistance du peuple anglais d’alors et la trahison de l’armée avaient rendu si court ; mais il déplorait surtout d’avoir donné le sang d’un roi malheureux et innocent à ce beau rêve.

Ce remords, le seul de sa vie, empoisonnait tout pour lui dans le passé, même sa noble aspiration à la république.

Heureuses les théories qui s’évanouissent ou qui l’ajournent sans laisser une trace de sang sur la main ! Milton n’eut pas ce bonheur : parmi tous les songes de sa belle vieillesse, il y avait une tête coupée qui saignait du haut d’un échafaud sur les têtes de deux enfants. Le rude et soldatesque Cromwell avait bien avoué ce remords à sa famille en mourant ; comment le pieux et pathétique poëte de la république ne l’aurait-il pas avoué à ses enfants ? Tout ses derniers ouvrages indique cette tristesse et ce repentir. S’il ne le confessa pas publiquement alors, c’est que Charles II régnait, et que ce repentir, honorable à avouer devant Dieu, aurait paru à Milton un lâche désaveu et une vile supplication devant les hommes.

On a peu de détails sur ses derniers moments ; on sait seulement qu’il s’éteignit lentement dans ces loisirs qui sont le crépuscule insensible des longues vies, dernier bienfait du ciel pour ses favoris, qui leur ménage doucement la transition entre la vie et la mort.