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MILTON.

tout ce qui aurait porté son nom et partagé ses misères. L’infirmité même de son mari lui était chère. Elle se réjouissait d’être les yeux, les mains, les pieds de cet homme qui l’avait tant aimée dans sa jeunesse, et qui ne communiquait plus que par elle avec ce monde.

Les derniers amis et les voisins de Milton admiraient cette femme, encore jeune et belle, qui mettait toutes ses complaisances dans cet aveugle, et qui s’attachait d’autant plus à lui que la vieillesse, la prescription et l’indigence l’exilaient davantage du commerce et même de la pitié du monde. La Providence a ainsi dans les femmes ses mystères de miséricorde, qui compensent par des consolations saintes et secrètes les abandons apparents du siècle.

Milton retrouvait dans sa cécité et dans sa misère quelques-uns des entretiens les plus pathétiques qu’il avait rêvés dans son Éden, entre l’homme proscrit et la femme fidèle, aux portes du paradis fermé. Il composait, en prose et en vers, des prières que sa femme et ses filles récitaient en chantant les jours de fête, dans sa chambre ou dans le jardin.

L’imagination et la piété, qui sont les deux éternelles jeunesses de l’homme, ne lui laissaient rien de la morosité du vieillard. Il était grave et point triste, semblable à Bernardin de Saint-Pierre, ce Théocrite français, l’auteur, jeune à quatre-vingts ans, de Paul et Virgine. Milton conservait sous ses cheveux blancs cette beauté de visage qui est la seconde fleur de la vie, plus durable que celle de la jeunesse. Son front était sans rides, son teint coloré, sa bouche grave et souriante ; ses yeux, quoique éteints, étaient azurés et profonds, comme si la lumière qui les pénétrait à la surface les avait éclairés jusqu’à l’âme. Sa voix était cadencée et mélodieuse comme un chant. Il aimait à marcher beaucoup dans la saison du soleil et