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MILTON.

sans cesse la triste image de sa déchéance, de sa misère et de sa rédemption par la pénitence. Ses dogmes gémissent et ne chantent pas : sa morale proscrit toutes les voluptés, même celles de l’imagination. Un drame est une profanation, une image même est presque un crime aux yeux d’une religion toute spiritualiste, qui abat les sens pour faire triompher l’esprit. Il n’y a pas de poëtes a son berceau, il n’y a que des apôtres, des croyants et des martyrs. Le génie du christianisme, c’est l’austérité ; le génie de la poésie, c’est la fiction : ces deux génies antipathiques ne se marient jamais sans se dénaturer l’un par l’autre.

Les poëtes épiques chrétiens ne sont poëtes que quand ils se font païens par des fictions posthumes, comme Camoëns, Dante, le Tasse, Milton, en faisant du ciel métaphysique des chrétiens un Olympe homérique, ou en descendant aux enfers sur les pas de Virgile. Mais ces fictions jurent avec la théogonie chrétienne. Son Olympe, au lieu de ces dieux et de ces déesses, de ces amours et de ces grâces, personnifiant divinement toutes les passions humaines, n’a qu’un calvaire et un instrument de supplice, où les gouttes de sang d’un martyre divin lavent les souillures de la terre.

Klopstock seul, l’épique Allemand, a tenté de poétiser la majesté tragique de ce drame dans sa Messiade ; mais la Messiade n’est pas un poëme, ce n’est qu’un sanglot de l’humanité aux pieds de la croix d’un rédempteur.

Milton n’a pas échappé, dans le Paradis perdu, à cette gravité poétique du dogme chrétien. Il a fait de la métaphysique en vers au lieu de poésie dans ses chants. Il n’a été poëte que dans les pages où il a célébré l’amour du premier homme pour la première femme, parce qu’alors il n’inventait pas, il se souvenait ; il ne cherchait pas son inspiration dans sa théologie, mais dans son cœur. Aussi