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MILTON.

faut-il s’étonner qu’étant si rapprochés, les regards et les sourires s’échangent entre toi et moi, et qu’un dialogue imprévu s’établisse entre nous, nous interrompe, et nous fasse perdre le reste du jour avant d’avoir rien fait pour mériter notre festin du soir.

» — Notre maître, répond Adam, ne nous a pas si obligatoirement inspiré le travail, qu’il nous soit interdit de nous délasser quand nous en sentons le désir, soit par l’entretien, cette nourriture de l’esprit, soit par ces doux échanges de regards et de sourires, car les sourires, refusés à la brute, sont l’aiguillon de l’amour. Mais si un trop long entretien te lasse, je pourrai quelquefois me résoudre à un court éloignement, car un court éloignement précipite un plus doux retour ! Mais j’ai peur qu’il ne t’arrive quelque mal quand tu seras sevrée de ma présence ! Ne pense pas que l’appui d’un autre soit superflu ; ton regard me communique toutes les vertus ; sous tes yeux je me sens plus sage, plus fort, plus confiant. »

» Ève résiste et veut suivre son caprice ; elle retire doucement sa main de celle de son époux, et, comme une nymphe légère, elle vole vers ses bocages. Adam ravi la suivait d’un regard d’amour ; mais il désirait cependant davantage qu’elle fût restée près de lui. »

La faute commise, Adam se lamente dans la solitude. » Lorsque Ève, triste et éloignée de lui, vit sa douleur, dit le poëte, s’approchant à pas timides, elle tenta de douces paroles contre sa peine ; mais il la repoussa d’un regard sévère et se détourna d’elle.

» — Oh ! ne me repousse pas ainsi, Adam, lui dit-elle, je mendie en suppliante ta miséricorde, et embrasse tes genoux ! Ne me prive pas de ce qui seul me fait vivre, tes doux regards, ta tendresse, ton assistance, tes reproches même, ton soutien ! Abandonnée de toi, où irai-je ? Tandis que nous vivons encore (à peine pour quelques