Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
MILTON.

maison de l’aveugle. Il avait chanté pour Dieu et pour la gloire. Ce morceau de pain tombé de la main d’un libraire et ajouté au pain de tous les jours fut une douceur domestique qui réjouit le foyer de Milton.

Depuis, les éditions du Paradis perdu en Angleterre et dans toute l’Europe ont produit plus de millions qu’il n’y avait d’oboles dans les cinq livres sterling du libraire Symons.

Selon les uns, le poème resta dix ans enseveli dans la boutique de l’imprimeur sans être ni mentionné ni lu. Selon les autres, il obtint une renommée circonscrite, mais rapide, et fit luire un crépuscule de gloire sur les dernières années du poëte.

On ne peut lire sans un éblouissement d’admiration les scènes amoureuses et pathétiques de l’apparition d’Ève a Adam, et d’Adam à Ève dans le jardin de l’innocence ; on ne peut lire sans un frisson de chaste volupté les dialogues à la fois purs et passionnés entre les deux premiers amants de la race humaine. Les historiens qui accusent Milton de n’avoir jamais aimé les femmes que comme les servantes de l’homme, calomnient la nature. Il n’y a qu’un cœur fécond d’enthousiasme pour la beauté et de respect et de tendresse pour la femme qui ait pu rêver et chanter de pareils vers.

« Adam, dit-il dans des vers aussi harmonieux que les teintes fugitives du matin, Adam, qui cherche sa compagne et qui la croit déjà errante parmi les bocages d’Éden, les pieds dans la rosée, s’étonne de la trouver encore endormie, les tresses de ses cheveux dénouées, et les joues rougies comme par les agitations d’un songe pénible. Il se soulève pour la contempler, a demi appuyé sur le coude ; amoureusement incliné sur elle, il contemple, avec des regards enivrés de ses perfections, la beauté qui dans la veille et le sommeil éclate de grâces différentes, mais égales.