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MILTON.

apostrophera la lumière, début de son troisième chant, admirablement imité par Voltaire et par Delille. On y sent la passion d’un bien pour jamais perdu. Le regret y double la mémoire de la jouissance.

« Salut, lumière sacrée, fille du firmament, première née du Créateur, ou coéternelle à Dieu ! Est-ce t’offenser, ô lumière, que de t’appeler de ce nom ? N’est-il pas lui-même lumière ? et n’a-t-il pas habité de toute éternité dans l’inaccessíble clarté émanée de lui ? Qui dira d’où tu découles ? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais, et, à la voix de Dieu, tu revêtis comme d’un manteau le monde éclos des eaux ténébreuses…

» — Lorsque dans mon vol (c’est Satan qui parle) j’étais porté à travers les ténèbres extérieures, j’ai chanté, avec des accords différents de ceux de la lyre d’Orphée, le chaos et l’éternelle nuit !

» Une inspiration céleste, sous le nom de Muse, m’apprit à ne pas me précipiter dans les sombres profondeurs de l’abîme, et à en remonter ; maintenant je me rapproche de nouveau de toi, et je sens ta lampe vitale et créatrice sur mes yeux !…

» Mais toi, ô lumière ! tu ne redescends pas visiter ces yeux désormais sans aurore, qui roulent en vain dans leurs orbites, sans rencontrer tes doux rayons, tant un sombre voile les obscurcit !

» Cependant je ne cesse pas d’errer dans les campagnes fréquentées des Muses, claires fontaines, bocages ombragés, colline dorée par le soleil ! Je n’oublie pas ces deux poëtes, hélas ! semblables à moi en infortune (et puissé-je aussi être semblable à eux en gloire !) Thamyris et l’aveugle Homère !…

» Alors je m’abreuve des images qui se revêtent d’elles-mêmes de mètres harmonieux, comme l’oiseau qui veille sous les feuilles chante dans l’obscurité !