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MILTON.

gement, quoique brutal, est juste. Chaque phrase de Saumaise sentait la lampe ; chaque phrase de Milton suait le sang.

Cependant, à la fin de ces volumineux plaidoyers contre le cadavre d’un roi, Milton semble entrevoir, le premier parmi ses compatriotes, la portée future de la révolution d’Angleterre sur la liberté du monde.

Nous apprendrons aux peuples à être libres, s’écrie-t-il, et notre exemple portera un jour sur le continent asservi une plante nouvelle plus bienfaisante aux humains que le grain de Triptolème : la semence de la raison, de la civilisation et de la liberté. »

Milton était prophète ; seulement il oubliait que cette semence, pour être féconde, ne devait être arrosée de sang que par les combattants et les martyrs. Les échafauds de Charles Ier et de Louis XVI n’ont fait que porter une ombre fatale à la liberté. La mort ne prouve rien, et les remords ne fortifient pas l’âme des peuples : ils la troublent et l’affaiblissent.

On sait comment la république d’Angleterre fut changée en dictature soldatesque par Cromwell, et comment cette dictature et cette république expirèrent à la fois le jour où Cromwell expira. La république n’était pas encore la pensée des Anglais ni de l’Europe. La trahison prévue d’un général égoïste et fourbe, Monk, et d’une armée qui cherchait un maître, les ambitions de solde et d’honneurs, livrèrent l’Angleterre au fils de Charles Ier, le voluptueux Charles II.

Rendons justice à Milton : dans ce court intervalle qui s’écoula pendant l’hésitation de la nation entre la mort de Cromwell et la trahison de Monk et de l’armée, Milton éleva courageusement la voix pour recommander la constance et la dignité au peuple anglais. « Si nous faiblissons, écrivit-il, nous vérifierons les prédictions de nos