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MILTON.

attaqué et déposé par son parlement rebelle, était criminel de défendre la constitution, son trône, son peuple, à la tête de son armée, contre l’armée de Cromwell ;

Secondement, que le crime (si c’en était un) méritait la mort ;

Troisièmement, qu’il était juste, équitable, humain et religieux à une armée victorieuse d’immoler son roi vaincu, désarmé et prisonnier !

Milton ne pouvait prouver aucune de ces trois propositions de son argumentation régicide. Il ne prouva qu’une chose : ou l’endurcissement du cœur même d’un poëte par le fanatisme de parti, ou la complaisance du génie pour la fortune. L’une ou l’autre de ces suppositions incrimine également sa mémoire. Si la pitié était proscrite du monde, elle devrait se retrouver dans le cœur du poëte, le résumé vivant de toutes les vibrations pathétiques des choses humaines. Et quant au génie, le génie n’est pas une excuse, il est une aggravation ; car, s’il s’abaisse devant la puissance jusqu’à laver le sang de l’échafaud sous ses pas, le génie est plus coupable de cette adulation sanglante que le vulgaire, car il se courbe de plus haut et il s’incline plus bas. Milton a cherché ainsi lui-même l’éternelle éclaboussure de ce sang royal à son nom : qu’elle lui reste. Ce sont de ces taches que la gloire ne rend que plus sombres sur une vie illustre, parce qu’elles y sont éclairées de plus de lumière.

C’est le privilége et le malheur des grands hommes que leurs fautes contractent sur leur nom l’immortalité de leur génie.

En récompense de ce fanatisme cruel ou de cette complaisance servile, Milton fut élevé par Cromwell à la place de secrétaire d’État de la république et de secrétaire du cabinet de Cromwell pour la langue latine. On avait besoin de son éloquence pour réfuter un livre.

Ce livre, sorti du tombeau de Charles Ier, troublait