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GUTENBERG.

cette éclosion d’une idée couvée en vain depuis dix ans dans le cerveau de son visiteur ; et quand Gutenberg se retire, il emporte tout un art avec lui !

Le lendemain, comme un homme qui possède un trésor, et qui n’a ni repos ni sommeil avant de l’avoir déposé en secret, Gutenberg quitte Haarlem, remonte a grands pas les bords du Rhin, arrive à Strasbourg, s’enferme dans son laboratoire, se façonne de lui-même ses outils, tente, brise, ébauche, rejette, reprend, rejette encore pour les recommencer ses épreuves, et finit par exécuter enfin en secret une ébauche heureuse d’impression sur parchemin avec des caractères mobiles en bois percés latéralement d’un petit trou, enfilés et rapprochés par un fil comme les grains d’un chapelet cubique, dont une face portera une lettre en relief de son alphabet. Premier alphabet, grossier, mais sublime, ébauche de vingt-quatre lettres qui se multiplient comme les brebis du patriarche, et qui finirent par couvrir le globe de caractères où s’incarna tout un élément nouveau et immatériel, la pensée !

L’enthousiasme de son succès s’empara de lui ; il s’endormit avec peine la nuit suivante. Dans son sommeil troublé et imparfait il eut un rêve. Ce rêve, il le raconta lui-même ensuite à ses amis. Ce rêve était si prophétique et si près de la vérité, qu’on peut douter, en le lisant, si ce n’était pas autant le pressentiment réfléchi d’un sage éveillé que le songe fiévreux d’un artisan endormi.

Voici le récit ou la légende de ce rêve, telle qu’elle est conservée dans la bibliothèque du conseiller aulique Beck :

Dans une cellule du cloître d’Arbogaste, un homme au front pâle, à la barbe longue, au regard fixe, se tenait devant une table, la tête dans sa main ; cet homme s’appelait Jean Gutenberg. Parfois il levait la tête, et ses yeux brillaient comme illuminés d’une clarté intérieure. Dans ces