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GUTENBERG.

fres mystérieux, il sculptait ces lettres amoureuses sur de petits morceaux de saule dépouillés de leur écorce et tout suants encore de l’humidité de leur séve printanière, puis il les rapportait, comme un souvenir de ses rêves et comme un monument de sa tendresse, à celle qu’il aimait.

Un jour, ayant ainsi taillé ces lettres dans le bois vert apparemment avec plus d’art et de perfection qu’à l’ordinaire, il enveloppa son petit chef-d’œuvre d’une feuille de parchemin, et le rapporta et Haarlem. En dépliant, le lendemain, la feuille pour revoir ses lettres, il fut tout étonné de voir son chiffre parfaitement reproduit en bistre sur le parchemin par le relief des lettres, dont la séve avait sué pendant la nuit et reproduit leur image sur la feuille. Ce fut pour lui une révélation. Il tailla en bois d’autres lettres sur un large plateau, remplaça la séve par une liqueur noire, et obtint ainsi cette première planche d’imprimerie. Mais elle ne pouvait imprimer qu’une seule page. La mobilité, et la combinaison infinie des caractères qui les multiplient à la proportion infinie des besoins de la parole écrite, y manquaient. Le procédé du pauvre sacristain Koster aurait couvert la surface de la terre de planches taillées en creux ou en relief, qu’il n’aurait pas remplacé un seul casier d’imprimerie mobile. Néanmoins le principe de l’art était éclos dans la sacristie d’Haarlem, et l’on pourrait hésiter à attribuer la gloire à Koster ou à Gutenberg, si dans l’un l’invention tout accidentelle n’avait pas été un don de l’amour et du hasard, et dans l’autre une conquête de la patience et du génie !

Cependant, à l’aspect de cette planche grossière, l’éclair jaillit du nuage pour Gutenberg. Il contemple la planche, il l’analyse, il la décompose, il la recompose, il la modifie, il la disloque, il la rajuste, il la renverse, il l’enduit d’encre, il l’applique, il la presse par une vis dans sa pensée. Le sacristain, étonné de son long silence, assiste à son insu à