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GUTENBERG.

de guerre, et qu’elle ne soldait pas ses ennemis. Gutenberg, obstiné dans son exil volontaire et dans son dédain, vécut des secours cachés de sa mère.

Mais il jouissait déjà à Strasbourg d’une si haute popularité pour son caractère et pour ses études, qu’un jour, le premier magistrat de Mayence ayant passé par le territoire de Strasbourg, les amis de Gutenberg l’arrêtèrent, l’enfermèrent dans un château, et ne consentirent à lui rendre la liberté qu’après que la ville de Mayence eut signé un traité qui rendait son patrimoine à son proscrit. Ainsi, ce jeune homme, ce grand tribun de l’esprit humain, qui allait, par son invention, détruire a jamais les préjugés de race, et rendre, avec le temps, la liberté et l’égalité civiles a tous les plébéiens de l’univers, commençait sa vie, encore ignoré, par des combats de castes contre le peuple, à la tête des patriciens de sa patrie. La fortune semble se jouer à ces contrastes. Mais la raison de Gutenberg, croissant avec l’âge, allait jeter dans les bras l’un de l’autre ce peuple et ce patricien qui se regardaient en ennemis.

La restitution de ses biens permit au jeune Gutenberg de satisfaire ses goûts littéraires, religieux et artistiques en voyageant de ville en ville pour y étudier les monuments et pour y visiter les hommes de toutes les conditions, célèbres par leur science, leur art ou même leur métier. Les artisans alors en Allemagne tenaient presque le même rang que les artistes. C’était l’époque où les métiers, à peine découverts, se confondaient avec les arts, et où les plus humbles professions enfantaient leurs premiers chefs d’œuvre, qu’on admirait, par la nouveauté, comme des prodiges. Gutenberg voyageait seul, à pied, la valise qui contenait ses habits et ses livres sur le dos, comme un simple étudiant qui visite les écoles, ou comme un artisan qui cherche un maître. Il parcourut ainsi les bords du Rhin, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne, enfin la Hollande,