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GUTENBERG.

par la parole qui se lasse, mais multipliée comme l’air par une machine infatigable, toute âme venant en ce monde ! »

Cet homme, qui se disait à lui-même ces belles paroles, et qui se posait ce problème pour le résoudre ou pour mourir à la peine, c’était Gutenberg.

Jean Gensfleich Gutenberg de Sorgeloch était un jeune patricien, né à Mayence, ville libre et opulente des bords du Rhin, en 1400. Son père, Friele Gensfleich, épousa Else de Gutenberg, qui donna son nom à son second fils Jean.

Il est probable que si Mayence, sa patrie, n’eût pas été une ville libre, ce jeune gentilhomme n’aurait pas pu y concevoir ou y exécuter son invention. Le despotisme, comme la superstition, impose le silence ; il aurait étouffé l’écho universel et irrésistible que ce génie de l’homme méditait de créer a la.parole. L’imprimerie et la liberté devaient naître du même sol et du même air.

Mayence, Strasbourg, Worms et d’autres villes municipales du Rhin se gouvernaient alors, sous la suzeraineté de l’empire, en petites républiques fédératives, comme Florence, Gênes, Venise et les autres républiques d’Italie. La noblesse guerrière, la bourgeoisie grandissante, et le peuple laborieux flottant entre les deux classes qui le caressaient ou l’opprimaient tour à tour, s’y disputaient de temps en temps, comme partout, la supériorité. Des accès de guerres civiles suscitées par des vanités ou des intérêts, et dans lesquelles la victoire restait tantôt aux patriciens, tantôt aux plébéiens, tantôt aux prolétaires, y faisaient tour à tour des vaincus, des vainqueurs et des proscrits. C’est l’histoire de toutes les villes, de toutes les républiques et de tous les empires. Mayence était une miniature de Rome ou d’Athènes. Seulement, les proscrits n’avaient pas les mers à traverser pour fuir leur patrie ; ils sortaient des murs, ils traversaient le Rhin, ceux de Strasbourg allant à