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ment de copies pour les besoins d’une consommation indéfinie de lecteurs, et les riches seuls pouvaient avoir des bibliothèques. Les clartés de l’esprit étaient le privilége de l’Église, des princes, des cours et des heureux de la terre ; elles ne descendaient pas dans les dernières zones du peuple. La tête de la société était dans la lumière, les pieds dans l’ombre. Une autre faculté manquait et la parole écrite, la rapidité. Le journalisme, qui la porte avec la promptitude du rayonnement, en quelques heures et en petit volume, d’une extrémité d’un empire à l’autre, ne pouvait pas exister. La parole était livre, jamais page ; elle ne se monétisait pas de manière à circuler de mains en mains dans tout l’univers comme l’obole du jour ; il y avait de grands vides et de longs silences dans l’entretien de l’esprit humain avec lui-même. Les progrès de la vérité, de la science, des lettres, des arts, de la politique ; étaient lents et suspendus pendant de longues périodes.

Tel était encore, en 1400, l’état de la parole humaine ; il fallait une révolution de la mécanique pour préparer les innombrables révolutions de la pensée que la Providence se réservait d’accomplir dans le genre humain par la main d’un mécanicien obscur ; et ce qu’il y a de remarquable, c’est que ce mécanicien, comme s’il eût été prophétiquement inspiré par la Providence, n’opéra pas ce prodige par hasard ou par cupidité, comme tant d’autres inventeurs : non, il l’opéra par piété et avec la passion sainte et la conscience pressentie de ce qu’il voulait accomplir. Il se dit, des ses plus tendres années : « Dieu souffre dans des multitudes dames auxquelles sa parole sacrée ne peut pas descendre ; la vérité religieuse est captive dans un petit nombre de livres manuscrits qui gardent le trésor commun, au lieu de le répandre ; brisons le sceau qui scelle les choses saintes, donnons des ailes à la vérité, et qu’elle aille chercher par la parole, non plus écrite à grands frais