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institutions. La civilisation de telle ou telle contrée du globe se résuma presque partout en une seule manifestation : le livre ! L’univers ne fut plus que bibles. Zoroastre, Moïse, Confucius, Mahomet, eurent autant de livres, autant de civilisations, autant de morales, de législations, de philosophies, de dogmes, de théologies, s’emparant tour à tour du monde, ou se le disputant pour le posséder. Et maintenant le monde appartient au livre le plus saint et le plus universel.

Un million de mains prirent le roseau de l’Égyptien, la plume du Grec, le style du Romain, le papyrus, l’écorce de palmier, le parchemin du moyen âge, le papier de l’Européen, se pressèrent de graver en toutes langues la parole devenue objet de foi pour l’esprit, objet de commerce pour l’art, objet de transport pour les industries. Les manuscrits se multiplièrent dans une proportion incalculable sur la terre. La Chine, notre ancêtre en toute invention, possédait seule, avec une langue trois fois plus parfaite que les nôtres, une espèce de stéréotypie ou d’imprimerie qui vulgarisait, parmi ses innombrables populations, les idées, la morale, les lois, la religion.

Partout ailleurs, c’était la main de l’homme qui était la seule machine de l’esprit. La profession des copistes était une des plus nombreuses, des plus honorées et des plus lucratives des professions. Des libraires entretenaient des milliers de copistes, revendaient leurs copies, leur en donnaient le salaire et faisaient un bénéfice sur la pensée. Il y avait à Rome, et dans les grandes villes de la Grèce et de l’Asie, des quartiers particuliers où se faisait ce trafic des idées et de la parole écrites. Les riches avaient des esclaves d’élite, achetés plus cher et traités plus familièrement que les autres esclaves, qui étaient exclusivement consacrés par eux à copier les ouvrages célèbres de l’antiquité et de leur temps pour leurs bibliothèques. Le gouvernement en entre-