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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

tier savant de la cité. Fulbert avait chez lui une nièce (quelques-uns disent une fille), aimée par lui d’un amour paternel. Cette nièce, âgée de dix-huit ans, plus jeune, par conséquent, de vingt ans qu’Abélard, était célèbre déjà. dans Paris par sa beauté et par un génie précoce. Son oncle, le chanoine Fulbert, avait mis en elle toutes ces complaisances dangereuses de vieillards qui, en ornant de tous les dons de l’intelligence et de l’art une nature d’élite, ne s’aperçoivent pas qu’ils préparent une victoire plus belle à la séduction, à l’amour, au malheur. Cette nièce se nommait Héloïse.

Les médaillons et la statue qui la retracent d’après les traditions contemporaines, et les moules pris après la mort dans son sépulcre, la représentent comme une jeune fille d’une taille élevée et d’une rare perfection de formes. Une tête d’un ovale légèrement déprimé par la contention de la pensée vers les tempes, un front élevé et plane, où l’intelligence se jouait sans obstacles, comme un rayon dont aucun angle n’arrête la lumière sur un marbre ; des yeux largement encadrés dans leur arcade, et dont le globe devait réfléchir la couleur du ciel ; un nez petit et légèrement relevé vers les narines, tel que la sculpture le modelait, d’après la nature, dans les statues des femmes immortalisées par Pies célébrités du cœur ; une bouche où respiraient largement, entre des dents éclatantes, les sourires de l’esprit et la tendresse de l’âme ; un menton rapproché de la bouche et légèrement creusé au milieu, comme par le doigt de la réflexion souvent posé sur ses lèvres ; un cou long et flexible, qui portait la tête comme le lotus porte la fleur en ondoyant avec la vague ; des épaules arrondies et inclinées d’une seule ligne avec les bras, des doigs effilés, des courbes flexibles, des articulations minces, des pieds de déesse sur son piédestal ; voila la statue : qu’on juge de la femme ! Qu’on restitue la vie, la carnation, le regard,