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GUTENBERG.

la syntaxe logique, de ces syntaxes à la langue de Moïse, de David, de Cicéron, de Confucius, de Racine, il faudrait supposer au genre humain plus de siècles d’existence sur ce globe de boue qu’il n’y a d’étoiles visibles ou invisibles dans la voie lactée ; il faudrait lui supposer aussi des siècles sans nombre d’abrutissement, pendant lesquels lui, genre humain, être essentiellement moral et intellectuel, il aurait vainement cherché, semblable aux brutes, son instrument de moralité et d’intelligence, sans pouvoir le trouver qu’après des myriades de générations sans parole, et par conséquent sans intelligence et sans moralité. L’humanité sourde et muette pendant cent mille ans ?… Je craindrais de blasphémer en croyant et ce mystère.

J’aime mieux croire à l’autre, c’est-a-dire au mystère paternel du Créateur inspirant lui-même, aux lèvres de sa créature enfant, la parole, le verbe, le mot, l’expression innée qui nomme les choses, en les voyant, du nom approprié à leur forme et à leur nature ; car nommer les choses de leur vrai nom, c’est véritablement les recréer. Oui, il a dû enseigner la première parole et la première langue, celui qui a fait l’intelligence et le sentiment pour se communiquer, la poitrine pour faire résonner le son de toutes les fibres tendues et émues de nos passions, comme un clavier intérieur, toujours complet, que nous portons en nous ; celui qui a fait la langue pour articuler, les lèvres pour prononcer, la voix pour porter au dehors l’écho de l’âme ! Des débris de cette première langue parfaite, et décomposée par quelques décadences intellectuelles, se seront recomposées les autres langues diverses et imparfaites, comme des pierres d’un temple écroulé se rebâtissent lentement, dans le désert, quelques abris pour la caravane.

La parole donnée, trouvée ou inventée, il y avait encore des siècles à traverser avant d’arriver à cet autre phénomène : renfermer la pensée immatérielle et invisible dans