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GUTENBERG.

Ce qui constitue l’homme, ce ne sont pas seulement les sens, car les brutes ont des sens comme nous, et quelques-unes même en ont d’infini ment plus délicats, plus forts, plus infaillibles que les nôtres. Ce qui constitue surtout l’homme, c’est la pensée ! Mais, tant que cette pensée ne se révèle pas à elle-même et aux autres par la parole, elle est en nous comme si elle n’était pas. La parole n’est pas la pensée, mais elle en est la manifestation nécessaire et simultanée. Tant qu’un homme n’a pas pu dire : « Je pense ! » il n’a pas pensé, il a rêvé ; il a eu des instincts, il n’a pas eu des idées ; il a été intelligence sans doute, mais intelligence captive et endormie dans la surdité et dans la nuit des sens, semblable au feu qui dort dans la poudre, mais qui n’en sort pas avant que l’étincelle, en s’approchant, lui rende la flamme, la lumière et la liberté. L’étincelle qui rend à la pensée sa flamme, sa lumière, sa liberté, son activité dans l’homme et dans l’espèce humaine, c’est la parole ! c’est le verbe, comme l’appelaient les anciens, qui faisaient, sous ce nom, de cette faculté véritablement divine, quelque chose d’intermédiaire entre l’homme et Dieu.

Ils avaient raison : la parole est la révélation de l’âme à l’âme. Or, quel autre que Dieu pouvait faire à l’âme, son ouvrage et son mystère, cette révélation d’elle-même ?

Aussi penchons-nous à croire que la parole n’est pas née d’elle-même sur les lèvres de l’homme primitif comme un balbutiement de hasard, attachant, de siècle en siècle, quelques significations vagues à quelques sons inarticulés, et donnant aux autres, sur le son, sur l’enchaînement, sur la signification de ces vagissements humains, des leçons qu’il n’aurait pas reçues lui-même. Pour arriver ainsi de ces vagissements instinctifs à la parole, de la parole à la convention unanime du sens des mots, du sens de quelques mots au verbe et à la phrase, du verbe et de la phrase à