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HÉLOISE. — ABÉLARD.

sa popularité croissante ses rivaux, qui professaient dans le vide à Paris, se consuma lui-même du feu qu’il allumait dans l’imagination publique, excita l’envie de tous les lettrés de l’université et de l’Église, se retira deux ans dans la solitude de sa terre natale pour retremper ses forces, et reparut plus fort, plus célèbre et plus dominateur à Paris. Il assit son camp, dit-il, c’est-à-dire son école, sur la montagne alors presque solitaire où s’élève aujourd’hui le temple de Sainte-Geneviève.

Ce fut le mont Aventin d’un peuple de disciples quittant les écoles anciennes pour venir écouter la parole jeune et hardie d’Abélard. Chacun de ces disciples payait un prix modique au philosophe : c’était l’humble salaire d’un peuple altéré de vérités. Ce salaire, multiplié par le nombre incalculable des auditeurs, élevait la fortune d’Abélard aussi haut que sa renommée. Il était dans la fleur de ses années, de sa gloire, de sa vertu même ; car jusque-la il n’avait eu d’autre passion que sa passion pour la vérité et pour la foi. L’orgueil si naturel à celui que les hommes écoutent, et la volupté si séduisante à celui que les femmes admirent, l’exaltèrent et l’amollirent à la fois. Un double piège l’attendait au moment où il touchait à sa maturité, à son génie et à sa gloire.

Il avait alors trente-huit ans. Il régnait par l’éloquence sur l’esprit de la jeunesse, par la beauté sur le regard des femmes, par ses poésies amoureuses sur les cœurs, par ses mélodies musicales chantées dans toutes les bouches. Qu’on se figure dans un seul homme, le premier orateur, le premier philosophe, le premier poëte, le premier musicien de son temps, Antinoüs, Cicéron, Pétrarque, Schubert, dans une même célébrité vivante et jeune, on aura une idée de la popularité d’Abélard à cette période de sa vie.

Or il y avait alors à Paris un chanoine riche et puissant de la cathédrale, nommé Fulbert, qui vivait dans le quar-