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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

la mémoire nourrie de fortes et universelles lectures, l’éclat, la propriété et la nouveauté des images dans lesquelles il sculptait ses idées pour les rendre palpables à ses auditeurs, faisaient de ce jeune homme assis au pied des chaires célèbres de l’université de Paris le maître des maîtres, et l’orateur le plus écouté et le plus populaire des écoles. Or, les écoles de cette époque du monde, c’était le forum du genre humain ; c’était ce que l’enseignement, la science, la religion, l’opinion, la presse, la tribune, furent depuis. La parole à peine retrouvée régnait sur le monde ; une seule autorité la dominait, c’était l’Église. Mais l’éloquence, la philosophie et la foi, toutes également renfermées dans le sanctuaire, ne s’exerçaient que sur les mêmes textes. On ne luttait, dans des disputes inintelligibles aujourd’hui, que pour faire triompher à l’envi la révélation par les arguments de la raison profane, et pour appeler Platon et les philosophes en témoignage du Christ et des apôtres. On sent a quelles subtilités de dialectique ces controverses devaient aiguiser l’esprit.

Mais ces controverses sont quelquefois des exercices qui fortifient, pour d’autres vues de la Providence, la raison humaine, et qui donnent au monde de grands talents et de grandes renommées.

Le jeune homme suivit le courant de son siècle. Il monta à la tribune de son temps, les chaires des écoles publiques, autour desquelles le peuple tout entier se pressait alors d’autant plus qu’il sortait d’une plus profonde ignorance, et qu’il attendait on ne sait quelle lumière commençant à poindre. Abélard, d’abord humble et docile disciple, s’éleva peu à peu sur les applaudissements de ses auditeurs jusqu’au niveau des oracles de l’école, puis jusqu’à lutter d’arguties et d’éloquence contre eux. Enfin il les effaça tous, fonda une école de philosophie à Melun, entraîna à sa suite la jeunesse fanatisée par son génie, consterna par