Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
GUILLAUME TELL.

magie dans ces arbres, et quand un homme leur a fait dommage, sa main sort de la fosse après sa mort.

Tell. — Ces arbres sont sacrés, il est vrai. Vois-tu là-bas ces hautes montagnes blanches dont la pointe semble se perdre dans le ciel ?

Walther. — Ce sont les glaciers, qui résonnent la nuit comme le tonnerre, et d’où tombent les avalanches.

Tell. — Oui, mon enfant ; et ces avalanches auraient depuis longtemps englouti le bourg d’Altorf, si la forêt qui est au-dessus comme une garde fidèle ne l’avait préservé.

Walther, après un moment de réflexion. — Mon père, est-il des pays où l’on ne voit pas de montagnes ?

Tell. — Quand on descend de nos montagnes et que l’on va toujours plus bas en suivant le cours de nos fleuves, on arrive dans une vaste contrée ouverte, où les torrents n’écument plus, où les rivières coulent lentes et paisibles. Là, de tous les côtés, le blé grandit dans d’immenses plaines, et le pays est comme un jardin.

Walther. — Mais, mon père, pourquoi ne descendons-nous pas dans ce beau pays, au lieu de vivre ici à l’étroit ?

Tell. — Ce pays est bon et beau comme le ciel, mais ceux qui y habitent ne jouissent pas de la moisson qu’ils ont semée.

Walther. — Est-ce qu’ils ne sont pas libres comme toi dans leur héritage ?

Tell. — Leur champ appartient à l’évêque ou au roi.

Walther. — Mais ils peuvent chasser dans les forêts ?

Tell. — Le gibier et les oiseaux appartiennent au seigneur.

Walther. — Ils peuvent alors pêcher dans les rivières ?

Tell. — Les rivières, la mer, le sol, appartiennent au roi.

Walther. — Qui est donc ce roi qu’ils craignent tous ?

Tell. — C’est un homme qui les protége et les nourrit.

Walther. — Ne peuvent-ils pas se protéger eux-mêmes ?

Tell. —Là, le voisin n’ose se fier à son voisin.

Walther. — Mon père, je serais mal à l’aise dans ce pays ; j’aime mieux rester sous les avalanches.