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GUILLAUME TELL.

ici tirer leur bonnet déguenillé ; mais tous les honnêtes gens aiment aiment mieux faire un long détour que de se courber devant ce chapeau.

Friesshardt. — Il faut qu’ils passent à midi sur cette place, quand ils sortiront de la maison de ville. Je croyais faire une bonne prise, car aucun ne songeait in saluer le chapeau. Le curé, qui revenait de voir un malade, s’en aperçoit, et se place avec le saint sacrement juste au pied de cette perche ; le sacristain agite sa sonnette, tous tombent a genoux, et moi avec eux ; mais c’est le saint sacrement qu’ils ont salué et non pas le chapeau.

Leuthold. — Écoute, camarade, je commence à trouver que nous sommes comme un carcan devant ce chapeau. C’est pourtant une honte pour un homme d’armes que d’être en faction sous un chapeau vide, et chaque honnête homme doit nous mépriser. Faire la révérence à un chapeau, il faut avouer que c’est une extravagante fantaisie !

Friesshardt. — Pourquoi pas à un chapeau ? tu la fais bien à des cerveaux vides. (Hildegarde, Mathilde, Élisabeth, arrivent avec leurs enfants et tournent autour du mât.)

Leithold. — Tu es un coquin si zélé ! tu ferais volontiers du mal à ces braves gens ! Pour moi, salue qui voudra ce chapeau, je ferme les yeux et je ne vois rien.

Mathilde. — Mes enfants, c’est le chapeau du gouverneur, montrez-lui du respect.

Élisabeth. — Dieu veuille qu’il nous quitte en ne nous laissant que son chapeau ! Les choses n’en iraient pas plus mal dans le pays.

Friesshardt les renvoie. — Allez-vous-en, misérable troupeau de femmes ! on n’a pas besoin de vous ici. Envoyer vos maris, nous verrons s’ils ont le courage de braver notre consigne. (Les femmes sortent. Tell s’avance avec son arbalète, conduisant son enfant par la main ; ils passent devant le chapeau sans le voir.)

Walther, montrant le Bannberg. — Mon père, est-il vrai que sur cette montagne les arbres saignent quand on les frappe avec la hache ?

Tell. — Qui t’a dit cela, enfant ?

Walther. — C’est le maître berger. Il raconte qu’il y a une