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GUILLAUME TELL.

Un dernier outrage fit déborder celui des pères, des mères, des enfants ; on eût dit que la tyrannie des baillis voulait accumuler contre elle tous les ressentiments de la nature à la fois. Ici apparaît pour la première fois dans la libération de son pays Guillaume Tell.

Les sourds murmures qui s’élevaient des villages et des chaumières contre les sévices du bailli Gessler, loin d’amortir l’oppression de ce gouverneur, l’avaient irritée. Il voulait dompter par la force les premiers symptômes de révolte qui se lisaient sur les visages des paysans ; il portait défi à la patience du peuple ; il inventait un crime afin d’avoir des coupables à frapper. Il fit planter sur la place publique du bourg d’Altorf un sapin, au sommet duquel il ordonna de placer son chapeau couronné de la couronne d’Autriche. Il enjoignit à tous les paysans ou bourgeois qui passeraient devant ce signe de la souveraineté de l’empereur de se découvrir la tête et de saluer le chapeau. Ses gardes, postés au pied de l’arbre sur la place, devaient enchaîner tous ceux qui se déclareraient rebelles en refusant cet hommage servile au chapeau du gouverneur.

La masse obéissante se plia à ce caprice de la tyrannie par mépris ou par terreur du tyran ; un seul résista : c’était un simple paysan d’Uri, pêcheur du lac et chasseur de chamois, nommé Guillaume Tell. On ne connaissait de lui jusqu’à ce jour que son intrépidité à naviguer sur les flots par les plus fortes tempêtes, et son adresse comme archer a rapper le but avec la flèche de son arbalète. On le croyait si étranger aux impressions politiques qui agitaient le pays, qu’on ne l’avait pas même convié parmi les trente au rendez-vous du Grutli. Il ne prenait sa conspiration à lui que dans sa conscience et dans son cœur. L’acte de se découvrir et de s’incliner devant un objet matériel, qui semblait transposer la divinité de Dieu dans un homme, lui avait paru un signe d’adoration interdit à un chrétien, qui ne doit adorer