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GUILLAUME TELL.

les avertissant à l’approche des espions de Gessler ; et, s’ils étaient surpris, leurs barques, cachées dans l’ombre du rivage, pouvaient, en quelques coups de rames, les soustraire aux poursuites des soldats.

La nuit du 17 novembre 1307, les trente conjurés, descendus un à un de leurs montagnes ou traversant le lac dans leurs barques de pêcheurs, se rencontrèrent, comme il avait été convenu, sur le promontoire de Grutli. Le ciel et la terre, les étoiles et les flots furent leurs témoins. Jamais conspiration plus légitime et plus sainte n’avait attesté ces témoins de Dieu dans les chefs-d’œuvre de sa création. C’était la nature conspirant innocente devant la nature ; c’était le cœur humain, revélé dans ses instincts les plus inaliénables, se disant dans quelques hommes simples : « Je suis aussi une œuvre de Dieu, et, en revendiquant ma liberté, c’est Dieu aussi que je revendique et que je défends dans son plus sublime attribut, le don de la liberté ravie par des tyrans à sa créature ! »

Ces hommes rustiques ne se firent point de vaines harangues ; la nature parlait le même langage en eux : quelques mots brefs et à voix basse, quelques gestes significatifs, quelques mains serrées dans des mains rudes, furent toute leur éloquence. Ils venaient pour se prêter serment les uns aux aux autres, non pour s’animer par des discours. Qu’auraient-ils dit qui valût cette rencontre préméditée de tant d’opprimés saignant dans leur liberté, dans leur dignité, dans leur amour ; cette nuit suprême couvant sous son ombre la résurrection d’un peuple ; ces montagnes, ces astres, ces rochers, ces flots, et, le lendemain, ces glaives tirés pour la plus sainte des causes ? Démosthène, Cicéron, Catilina, Mirabeau, auraient été écrasés par une pareille tribune. Quand le sentiment est inné, profond, enraciné, la parole n’ajoute rien à la conviction. Le silence est la harangue des complots qui ne sont ni les complots de