Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
58
GUILLAUME TELL.

tons, à Schwytz, à Uri, à Underwald. Défendus du côté du nord par les flots orageux des lacs, du côté du midi par des pics et des glaciers infranchissables, du côté de l’Allemagne par des précipices et des forêts, ces montagnards ne reconnaissaient d’autre protectorat que celui de l’empereur. Ils se gouvernaient en république. Leur liberté faisait envie aux habitants des vallées inférieures, assujetties à mille petits tyrans. La ville de Zurich, et d’autres villes rapprochées d’eux, comme Lucerne, se liguaient de temps en temps avec eux pour se soustraire au joug des seigneurs et des alliés.

Le comte Rodolphe de Hapsbourg, étant monté par l’élection au trône impérial, se souvint qu’il était Suisse, et protégea d’abord contre l’oppression ses anciens compatriotes ; mais son fils Albert d’Autriche, jaloux du reste d’indépendance que les neiges et les rochers laissaient a la haute Helvétie, entreprit de les subjuguer, et de passer jusque sur ces humbles villages le niveau de la servitude. Les peuples de Schwytz, d’Uri et d’Underwald se confédérèrent pour se garantir mutuellement leurs mœurs, leurs lois, leurs libertés. N’ayant pu les séduire par des négociations et des caresses, il envoya résider au milieu de leurs montagnes des lieutenants ou des proconsuls soutenus par ses armes, et chargés de leur faire sentir le poids de sa colère et la honte de son joug. Ces proconsuls portaient le titre de baillis de l’empereur ; ils exerçaient sur ces contrées la plus illimitée des tyrannies, la tyrannie déléguée et lointaine. Le pays gémissait sous leurs caprices et sous leurs violences, sans que l’empereur même, leur ennemi, pût entendre son gémissement. Ils pillaient les biens, ils enchaînaient les hommes, ils enlevaient les femmes, ils déshonoraient les filles. Les crimes qui firent chasser les Tarquins de Rome soulevaient impunément le cri public de ces malheureux peuples. Maîtres par eux-mêmes ou par les