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GUILLAUME TELL.

velours noir flottent des deux côtés de leur cou jusque sur leurs talons ; une calotte de feutre ou de paille couvre le sommet de leur tête ; un corsage étroit de laine teinte serre leur taille ; une chemise à mille plis plus blancs que la neige voile leur sein ; un jupon de laine à larges cannelures laisse leurs jambes a demi nues jusqu’au-dessus des chevilles du pied. Soit qu’elles étendent la litière sur le plancher des étables ; soit qu’elles portent dans chaque main des seaux d’érables écumants du lait gras de leurs vaches ; soit qu’elles fanent avec de longs râteaux et dents de bois l’herbe fauchée sur les prés en pente au bord des sapins, au vent de leurs cascades, leurs travaux ressemblent à des fêtes. Elles répondent d’une colline à l’autre, par-dessus le lit du torrent, aux chants des jeunes faucheurs par des airs nationaux. Ces airs ressemblent à des cris modulés échappée d’une surabondance de vie et de joie. Leurs dernières vibrations se prolongent comme l’écho des montagnes. Les musiciens les notent sans pouvoir jamais les imiter. Ils ne naissent que sur les vagues des lacs ou sur les pelouses des Alpes. La nature ne se laisse pas contrefaite par l’art. Pour chanter ainsi, il faut avoir recueilli en naissant dans son oreille le clapotement du flot contre la planche de la barque sur les lacs, le tintement de l’eau goutte à goutte dans l’auge sonore, les mélancolies du vent tamisé par les feuilles dentelées du sapin, les mugissements des génisses qui appellent leurs petits sur les hauteurs ; les clochettes graves ou aiguës qui sonnent à leur cou dans l’herbe ; les cris de joie des enfants qui se roulent au soleil sur les meules de foin sous les yeux des mères ; le chuchotement des fiancés qui marchent en se tenant par la main devant les vieillards, en se parlant du bonheur futur ; les adieux du jeune soldat qui part de ses montagnes pour la longue absence, en jetant son cœur en sanglots sur la route ; ou le cri de joie du soldat