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sant comme la table d’une ménagère attentive. Une haleine tiède et parfumée de l’odeur des génisses sort de ces portes avec de tristes mugissements de jeunes taureaux qui appellent les mères absentes. Un pont de bois mobile et retentissant, jeté sur l’entrée de ces étables, conduit, par une pente allongée et douce, les chars de foin de la cour au grenier à fourrage. L’herbe sèche et la paille jaunie sortent par toutes les fenêtres de ce magasin végétal, comme la graisse de la terre qui fait éclater le grenier de l’homme. On sent l’opulence dans la simplicité. Au milieu de la cour, un tronc creux de sapin laisse égoutter par un tuyau de fer l’eau de la colline dans une auge immense de sapin aussi, où viennent s’abreuver les bœufs.

De quelque côté qu’on porte le regard sur les flancs de l’Alpe, sur les collines rapprochées, sur la pente du glacier, sur le toit de la demeure, sur les murailles de la maison, sur le bûcher, sur l’étable, sur la fontaine, on ne voit que le sapin vivant ou mort. Le Suisse et le sapin sont frères. On dirait que la Providence a attaché ainsi à chaque race d’hommes un arbre qui la suit ou qu’elle suit dans sa pérégrination terrestre, un arbre qui la nourrit, qui la chauffe, qui l’abreuve, qui l’abrite, qui la groupe sous ses rameaux, qui fait partie de la famille humaine, un arbre domestique, véritable dieu lare de son foyer : ainsi le mûrier à la Chine, le dattier en Afrique, le figuier en Judée, le chêne dans les Gaules, l’oranger en Italie, la vigne en Espagne et en Bourgogne, le sapin en Suisse, le palmier en Océanie. Le végétal et l’homme se tiennent par d’invisibles rapports. Anéantissez l’arbre, l’homme périt.

Après avoir traversé ces villages des penchants des Alpes, les villes vous apparaissent au loin sur des promontoires avancés ou dans des anses creuses au bord des grands lacs. Vous les reconnaissez à leurs murailles sombres, à leurs toits aigus, à leurs boules d’étain qui re-