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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

comme dans l’homme, est l’organe le plus sûr et le plus fort de la vertu.

Ces deux histoires n’en font qu’une. Elles sont tellement entrelacées comme les deux âmes et les deux existences des deux époux, que la vie de l’un est le contre-coup perpétuel de la vie de l’autre, et que le même événement ou le même sentiment, répercuté dans un double écho, n’y produit qu’un seul et même intérêt.

Racontons.

Pierre Abélard était fils d’un chevalier breton, nommé Béranger ; sa famille seigneuriale possédait, dans les environs de Nantes, le château et le village de Palais. Béranger exerçait, comme tous les seigneurs du temps, le métier noble de la guerre. Son fils Abélard fut élevé par lui pour les armes. Mais la piété de sa race, attestée par l’habit religieux que prirent dans leur âge avancé Béranger, sa femme et ses filles, associa à l’éducation militaire du jeune Abélard l’étude des lettres, de la philosophie et de la théologie. La grande et unique profession intellectuelle et libérale de cette époque, l’Église, attirait a elle tous les jeunes hommes dans lesquels se signalaient de bonne heure la poésie, l’éloquence, l’amour de la gloire, les ambitions de l’esprit. Abélard était le plus heureusement doué des hommes de son siècle : il dédaigna le métier peu intellectuel de l’homme d’armes ; il abandonna à ses frères son droit d’aînesse sur les domaines et sur les vassaux de sa maison. Il quitta la demeure paternelle ; il alla d’école en école et de maître en maître recueillir, à l’exemple des disciples des philosophes de l’antiquité, ces trésors enfouis des littératures grecque et latine, que la Gaule et l’Italie commençaient à exhumer des manuscrits, et remettre en lumière, et à adorer comme les mystères profanes de l’esprit humain. Son cœur passionné et son imagination impressionnable ne se contentèrent pas de ces langues