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spirent le sentiment de l’infini en étendue. C’est un spectacle qui écrase le spectateur, et qui, de terreur en terreur, d’admiration en admiration, porte la pensée de l’homme jusqu’à Dieu, pour qui seul rien n’est haut, rien n’est vaste. Mais l’homme est anéanti sous l’architecture de ces montagnes, et il jette un cri. Ce cri est une confession de sa petitesse, et un hymne à la grandeur de l’architecte. Voilà pourquoi il y a plus de piété sur la mer et sur les montagnes que dans les plaines. Le miroir de ses œuvres dans lesquelles la Divinité se peint étant plus grand, la Divinité s’y retrace et s’y révèle mieux.

Du côté qui regarde le midi ou l’Italie, les pentes de ces montagnes sont escarpées et abruptes comme un rempart élevé pour abriter cette tiède contrée, jardin de l’Europe. Du côté du nord, c’est-à-dire du côté de la France, de la Savoie, de l’Allemagne, les Alpes descendent des profondeur du firmament au niveau des lacs et des plaines par de plus douces déclivités. On dirait un immense escalier dont le Créateur a proportionné les degrés aux pas de l’homme. Aussitôt que l’on quitte la région inaccessible des neiges, des frimas, des glaces éternelles qui forment les dômes du mont Blanc, de la Jung-Frau, les pentes s’amollissent, les racines de ces sommets gigantesques semblent gonfler le sol qui les cache ; elles se revêtent de terre végétale, de gazons, d’arbustes, de fleurs, de pâturages humectés par l’incessante filtration de la sueur des glaciers qui furent aux premiers soleils. Elles divergent largement de tous les côtés en s’abaissant de plus en plus comme des contreforts qui vont chercher leur point d’appui bien bas et bien loin, pour porter le poids incalculable qui pèse sur elles. Elles dessinent et creusent ainsi entre elles des ravins qui deviennent bientôt des gorges, puis des vallées, puis des bassins, puis des plaines plus largement encaissées, au fond desquelles on voit d’en haut s’étendre, dormir et étin-