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HÉLOISE. — ABÉLARD.

lui avez été unie d’abord ici-bas par tous les liens de la chair, avant de vous lier à lui par les nœuds de l’amour divin ; vous qui avez servi longtemps le Seigneur avec lui sous sa direction, souvenez-vous à jamais de lui dans le Seigneur ! Car le Christ vous abrite tous deux dans l’asile de son cœur ; il vous réchauffe dans son sein ; et lorsque son jour viendra, et la voix de l’archange, il te conserve pour ce jour ton Abélard, et il te le rendra pour jamais !… »

C’est à l’homme qui a écrit une telle lettre que la religion devrait une statue. Jamais la tendresse divine ne se mêla, avec plus d’indulgence, à la tendresse humaine ; jamais la sainteté n’eut plus de condescendance et la vertu plus de miséricorde. On voit avec quelle délicatesse de sentiment et d’expression il ramène, jusque dans la mort, l’image de ces noces éternelles, impérissable aspiration d’Héloïse. L’huile du Samaritain ne coulait pas plus onctueusement sur les blessures du corps que la parole de ce saint homme sur celles du cœur. L’amitié d’un tel homme et l’amour d’une telle femme suffiraient seuls pour attester qu’Abélard mérita mieux de son siècle que ne le croit la postérité.

Héloïse survécut vingt ans à son époux, prêtresse de Dieu, attachée au culte d’un sépulcre dans la solitude du Paraclet.

Quand elle sentit la mort si longtemps invoquée s’approcher d’elle, elle demanda à ses sœurs de déposer son corps à côté de celui de son époux dans le cercueil d’Abélard. L’amour, qui les avait unis et séparés pendant leur vie par tant de prodiges de passion et de constance, parut signaler par un nouveau prodige leur sépulture. Au moment où l’on rouvrit le cercueil d’Abélard pour y coucher le corps d’Héloïse, les bras du squelette, comprimés vingt ans par le poids du chêne, se dilatèrent, dit-on, s’ouvrirent et paru-