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HÉLOISE. — ABÉLARD.

lectuelles, et pour le beau dans tous les arts. On s’étonnait, tandis que le monde croupit dans une vile et oisive ignorance, et que l’intelligence studieuse ne sait où poser son pied, je ne dis pas seulement au milieu des femmes, mais parmi les assemblées des hommes ; on s’étonnait de ce qu’Héloïse seule se montrait supérieure à toutes les femmes et à tous les hommes de son temps. Bientôt (pour parler comme l’Apôtre) celui qui vous fit sortir du sein de votre mère vous attira toute à lui par sa grâce ; vous changeâtes l’étude des sciences périssables contre la science de l’éternité : au lieu de Platon, le Christ ; au lieu de l’Académie d’Athènes, le cloître !… Plût à Dieu que Cluny eût pu te posséder ! Plût à Dieu que tu fusses enfermée dans notre douce captivité de Marcigny, avec les esclaves féminines du Seigneur, qui aspirent à la liberté céleste ! Mais, puisque la Providence ne nous a pas fait cette grâce, elle nous a du moins accordé cette faveur en celui qui a été à toi ! en celui qu’il faut souvent et toujours honorer avec gloire, le philosophe du Christ, cet Abélard que la volonté divine a envoyé dans ses dernières années à Cluny…

» Il n’est pas facile à dire en quelques lignes, ô ma sœur, la sainteté, l’humilité, l’abnégation qu’il nous a montrées, et dont le monastère entier a porté témoignage. Si je ne me trompe, je ne me souviens pas d’avoir jamais vu de vie et d’extérieur plus humbles… Je lui avais donné un rang éminent parmi tous mes frères, mais il voulait paraître le dernier de tous par la simplicité de son costume… Il en était de même de ses aliments et de tout ce qui touchait aux délices des sens : et je ne parle pas ici des choses de luxe ; il se refusait tout, excepté ce qui est indispensable à la vie. Sa conduite et ses paroles étaient irréprochables, en lui comme pour les autres…

» Il lisait continuellement, priait souvent, ne parlait jamais, si ce n’est quand des entretiens littéraires ou des dis-