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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

Pierre le Vénérable célébra lui-même les obsèques, et repartit après avoir remis les restes de son ami à la garde d’un immortel amour.

Ce culte en commun pour la même mémoire resserra les liens d’admiration et de reconnaissance qui unissaient l’abbé de Cluny à la veuve du Paraclet. Héloïse, que le souci du bonheur éternel de son amant passionnait autant que l’avait fait le souci de ses malheurs terrestres, voulut tenir de Pierre le Vénérable lui-même l’attestation écrite de la pureté et de la béatitude de l’âme d’Abélard. « Je vous conjure, écrit-elle après le retour de Pierre à Cluny ; je vous conjure de m’envoyer des lettres ouvertes, empreintes de votre sceau, et contenant l’absolution de mon seigneur, afin que ces preuves de félicité soient suspendues à son tombeau !… Souvenez-vous aussi, ajoute-t-elle, de regarder comme votre fils le fils d’Abélard et d’Héloïse. »

Pierre le Vénérable condescendit à ce dernier scrupule de l’amour ; il envoya au Paraclet les lettres d’absolution demandées. Il retraça de lui-même à Héloïse, dans une lettre empreinte de sa charité évangélique, toutes les circonstances de la fin et de la mort d’Abélard, qui pouvaient consoler, en la sanctifiant, la douleur d’un éternel veuvage.

« Ce n’est pas d’aujourd’hui que je commence a vous aimer, ô ma sœur, écrit-il ; car je me souviens que depuis longtemps je vous aime. Je n’avais pas encore passé les années de l’adolescence, je n’étais pas encore un jeune homme, que déjà avait retenti jusqu’à moi, non pas encore la renommée de votre sainteté, mais celle de votre génie. On racontait partout alors qu’une femme dans la fleur de ses années et de sa beauté se distinguait, contre l’habitude de son sexe, par la poésie, l’éloquence et la philosophie ; ni les plaisirs ni les séductions du siècle ne pouvaient l’emporter dans son cœur sur sa passion pour les choses intel-