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HÉLOISE. — ABÉLARD.

par la persécution, ne lui promettait pas de longs jours. Il s’éteignit dans les bras de son ami, deux ans et quelques mois après avoir échoué sur ce seuil hospitalier de Cluny.

L’amitié de Pierre le Vénérable ne se crut pas acquittée envers son ami, après l’avoir enseveli ; il entra, par sa charité vraiment divine, dans la pieuse complicité d’un amour que tant de sang, de repentir et de larmes avaient consacré à ses yeux ; il comprit que son ami au ciel et Héloïse sur la terre lui demandaient la dernière consolation d’un rapprochement, au moins, dans le sépulcre. Il ne se crut point coupable de condescendre, du haut de sa sainteté, a cette faiblesse ou à cette illusion de l’amour qui, n’ayant pu confondre deux vies, veut au moins confondre deux poussières. Mais, craignant l’ombre même du scandale, il couvrit de mystère le pieux larcin qu’il alla faire lui-même au cimetière de Saint-Marcel, oratoire dépendant de son abbaye, dans lequel Abélard était inhumé. Il ne confia a personne le soin d’accompagner les restes de son ami et de les remettre et Héloïse ; aucune autre main n’était digne de toucher à ce dépôt, que la main d’un saint et celle d’une épouse. Il se leva pendant les ténèbres, exhuma le cercueil d’Abélard et le transporta au Paraclet ; il écrivit en vers lapidaires l’épitaphe de son ami : « Platon de notre âge, dit-il dans ces vers, égal ou supérieur à tout ce qui vécut, souverain de la pensée, reconnu par tout l’univers génie varié et universel, il dépassait l’humanité par la force de l’idée et par la force de l’éloquence. Son nom fut Abélard ! »

Il se chargea d’être le père d’un fils qu’Héloïse et Abélard avaient eu de leur union avant leur malheur et leur consécration aux cloîtres.

Héloïse, après avoir reçu avec larmes le cercueil de son époux, l’ensevelit, dans le cimetière du Paraclet, dans le caveau où elle se garda sa place conjugale au lit de mort.