Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

chasseurs, de pêcheurs, de bûcherons, fumaient de loin en loin sur la cime des bois, la gorge de Cluny était une Thébaïde des Gaules.

« C’est là, dirent les cénobites au duc d’Aquitaine, que nous élèverons le monastère. — Non, dit le duc : c’est une vallée trop ombragée d’épaisses forêts et pleine de bêtes fauves, où les chasseurs et les chiens troubleraient, par leurs cris et par leurs aboiements, votre silence. — Eh bien ! chassez les chiens et appelez les moines, » répondirent les cénobites.

Guillaume avait chassé les chiens et appelé les moines. En peu de siècles, grâce et l’immensité et à la fertilité du territoire, au pieux communisme qui jetait la fortune des mourants dans les monastères, et et l’habile gouvernement de l’ordre par les abbés, véritables hommes d’État de ces communautés, le désert de Cluny avait vu s’élever au-dessus de ses forêts une forêt de flèches de cloîtres, de dômes, de voûtes, de tours, de créneaux gothiques, d’arceaux byzantins, ornements et défense d’une basilique égale en étendue aux plus vastes basiliques de Rome.

La rivière qui submergeait jadis la vallée, encaissée dans des lits de pierre, ou dérivée dans des étangs peuplés de poissons, fertilisait de vastes prairies, blanchissantes de troupeaux. Une ville s’était adossée a l’abbaye, pour être protégée par les moines. Des papes étaient sortis des cellules de l’abbaye pour aller gouverner le monde chrétien. Des rois étaient venus visiter, doter, privilégier ce sanctuaire. Des conciles s’y étaient rassemblés. Ses abbés étaient devenus des puissances. Les pèlerins de toutes les parties du monde assiégeaient ses portes et y recevaient l’hospitalité.

Un homme consommé en science, en poésie, en gloire et en vertu, Pierre le Vénérable, gouvernait en ce moment le monastère. Contraste vivant de saint Bernard, l’abbé de Cluny personnifiait en lui la charité du religieux, dont