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HÉLOISE. — ABÉLARD.

France, mais pressentie d’Abélard, l’arracha pour la dernière fois à la paix du Paraclet et aux larmes d’Héloïse. Il dit un éternel adieu à cette solitude qu’il avait peuplée d’abord de disciples enthousiastes, puis de vierges pieuses, et qui avait recueilli si souvent les débris de sa vie. Il s’achemina seul et a pied vers les Alpes pour aller implorer la justice et l’asile du pape contre son persécuteur. Il passa par Cluny, abbaye alors souveraine, qui donnait hospitalité aux papes, aux rois, aux pèlerins, aux mendiants sur la route de Paris à Rome.

Ce monastère, de l’ordre de Saint-Benoît, avait été fondé par Guillaume, duc d’Aquitaine, possesseur d’un vaste territoire dans la province du Mâconnais. Guillaume, selon la coutume des princes ou seigneurs de ce temps, avait voulu acheter l’éternité au prix d’une concession de terres faite à des cénobites dont les prières s’élèveraient à perpétuité au ciel pour son âme. Les cénobites qu’il avait chargés de chercher le lieu le plus propre à l’emplacement du monastère, avaient parcouru les montagnes et les vallons de ses domaines ; ils avaient arrêté leur choix sur un défilé étroit et profond, dans une vallée intérieure qui court derrière la chaîne des montagnes de la Saône, entre Dijon et Mâcon. « Lieu écarté, disent-ils, de toute société humaine, si pleine de solitude, de repos et de paix, qu’il semble, en quelque sorte, une image de la solitude céleste. » Ces cénobites avaient en effet l’instinct de la nature appropriée à l’isolement et au recueillement de leurs âmes ; A cette époque, où des forêts séculaires couvraient les montagnes, rétrécissaient les horizons, dérobaient le ciel ; où les eaux des torrents, débordées dans les prairies, formaient des lacs, des étangs, des marécages bordés de roseaux ; où nulle autre route que des sentiers creuses par le pied des mules ne débouchait dans ce bassin d’eau courante et de feuillage ; où quelques rares chaumières de