Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
29
HÉLOISE. — ABÉLARD.

loïse, de vous avoir fait participer à mes angoisses, quand c’est vous-même qui m’y avez contraint par vos supplications ? Est-ce dans les misères de mon existence actuelle que vous auriez le cœur d’être heureuse ? Vouliez-vous donc être la compagne de ma félicité, et non de mes peines ? Souffririez-vous, par ces souvenirs criminels, que j’aille au ciel sans vous, vous qui m’auriez suivi, disiez vous alors, jusqu’aux enfers ? »

Puis il repasse, devant Dieu et devant sa complice, toutes ses iniquités passées, et ordonne à Héloïse de rendre grâce à Dieu des peines qui l’ont frappé et changé : « Vous nous avez unis, Seigneur, et vous nous avez séparés, dit-il en finissant : ceux que vous avez séparés une fois pour un moment dans le monde, réunissez-les a jamais dans le ciel ! »

On retrouve enfin l’époux dans le saint.

La persécution le ramena au Paraclet. D’odieuses insinuations de ses ennemis l’en classèrent de nouveau. « Comment ! s’écriait-il dans son désespoir, toute occasion de faute étant enlevée par le malheur, par les années, par la sainteté de la profession monacale, le soupçon peut-il survivre ? Ah ! combien je souffre plus aujourd’hui de mes calomniateurs que je n’ai souffert jadis de mes bourreaux ! »

Mais ses ennemis s’attachaient plus encore à le poursuivre dans sa gloire que dans son amour. Ses écrits, qui se multipliaient, et qui fanatisaient Rome elle-même, parce qu’ils laissaient transpercer une première aube de liberté de discussion, étaient suspects d’hérésies involontaires. Saint Bernard, le censeur, le réformateur et le vengeur de l’Église en France, s’éleva avec véhémence contre lui. Cité au concile de Sens pour répondre de ses maximes, Abélard se fut : saint Bernard dénonça jusqu’à ce silence.

« Cet homme, écrivit-il, se vante de pouvoir confirmer par la raison ce qui est mystère. Il monte jusqu’au ciel, et