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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

mêmes à la tombe, nous n’aurions pas la force de préparer la vôtre !… Si je vous perds, que me restera-t-il à espérer ? Comment demeurer dans ce pèlerinage de la vie ou je ne suis retenue que par la pensée que vous l’habitez encore ? O la plus malheureuse de toutes les malheureuses ! Élevée par vous au-dessus de toutes les femmes, n’ai-je donc obtenu cette gloire que pour être précipitée de plus de félicité dans plus de désastres ? Nous vivions chastement, vous à Paris, moi à Argenteuil ; nous nous étions ainsi séparés pour nous consacrer plus saintement, vous à vos études, moi à la prière parmi de saintes vierges. C’est pendant cette vie si pure que le crime vous a frappé. Ah ! que ne nous frappa-t-il ensemble ! Nous avions été deux pour les torts : vous fûtes seul pour l’expiation ; et le moins coupable a porté la peine ! Ce que vous avez souffert un moment dans votre supplice, il est juste que je le souffre toute ma vie !

» S’il faut vous avouer la faiblesse de mon âme misérable, je n’y trouve pas le repentir ! Mon bonheur fut si doux que je ne puis ni en avoir l’horreur ni l’arracher à ma mémoire ! Dans mon sommeil, au milieu même des cérémonies où la prière doit être le plus pure, les lieux, les temps, les félicités de nos années heureuses se représentent à moi ! Ils m’appellent sainte, ceux qui ne me savent pas gémissante ; ils me louent devant les hommes, mais je ne mérite pas ces louanges devant Dieu, qui sonde les cœurs !… Dans toutes les circonstances de ma vie, vous le savez, j’ai plus craint de vous offenser que d’offenser Dieu lui-même… Ah ! n’ayez pas une opinion trop haute de moi, et ne cessez pas de me secourir de vos prières. »

Au milieu d’une dissertation diffuse sur le Cantique des cantiques, Abélard trouve quelques notes pénétrantes dans sa réponse : « Pourquoi me reprochez-vous, dit-il à Hé-