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HÉLOISE. — ABÉLARD.

de la prière collective des communautés de femmes. Ensuite il revient aux dangers qui l’atteignent, il semble oublier les afflictions d’Héloïse pour ne penser qu’aux siennes, comme si elle était assez heureuse de souffrir pour lui.

Cependant, à la fin de la lettre, l’amour semble se trahir dans un dernier vœu qui ajourne à la mort une réunion si vainement désirée pendant la vie ! « O ma sœur, s’écrie-t-il, si Dieu me livre aux mains de mes ennemis, s’ils me donnent la mort, ou si par quelque événement ordinaire je m’achemine vers le terme commun à tous les hommes, faites, je vous l’ordonne, transporter mon corps inhumé ou abandonné ailleurs, dans votre cimetière, afin que vous, mes filles, que dis-je, mes sœurs en Jésus-Christ, ayant sans cesse mon tombeau sous les yeux, vous soyez plus sollicitées par ce sépulcre à répandre pour moi des prières devant Dieu ! Car, pour une âme affligée par tant de revers et repentante de tant de faiblesses, je ne pense pas qu’il y ait ici-bas un séjour plus sur et plus salutaire que celui qui est consacré à l’Esprit consolateur, et qui mérite si bien ce nom… Ce sont des femmes qui, soigneuses de l’ensevelissement du Christ, l’embaumèrent de parfums, et veillèrent autour du sépulcre. Aussi furent-elles les premières consolées. »

A l’exception de ce retour involontaire d’amour après la tombe, les lettres d’Abélard sont sèches de larmes, froides de cœur, dures souvent de paroles. On sent l’homme plein de lui-même ; Héloïse n’est pleine que de lui.

« A mon unique après Jésus-Christ, à mon unique en Jésus-Christ, écrit-elle. Ah ! c’est à vous qu’il appartient de célébrer nos obsèques, a vous d’envoyer à Dieu celles que vous avez rassemblées en sa présence ! Non, jamais Dieu ne permettra que nous vous survivions ; mais, si vous mouriez avant nous, nous songerions à, vous suivre plutôt que vous ensevelir, puisque, destinées aussitôt nous-