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CHRISTOPHE COLOMB.

C’était l’homme qui versait ces larmes, c’était la terre qui devait pleurer.

« Dieu éternel et tout-puissant, s’écria Colomb en relevant son front de la poussière dans une prière latine qui nous a été conservée par ses compagnons, Dieu, qui, par l’énergie de ta parole créatrice, as enfanté le firmament, la mer et la terre ! que ton nom soit béni et glorifié partout ! que ta majesté et ta souveraineté universelle soient exaltées de siècle en siècle, toi qui as permis que, par le plus humble de tes esclaves, ton nom sacré soit connu et répandu dans cette moitié jusqu’ici cachée de ton empire. »

Puis il baptisa cette île du nom du Christ, l’île de San Salvador.

Ses lieutenants, ses pilotes, ses matelots, ivres de joie et pénétrés d’un respect surhumain pour celui qui avait vu pour eux au delà de l’horizon visible, et qu’ils outrageaient la veille de leur défiance, vaincus par l’évidence et foudroyés par cette supériorité qui prosterne l’homme, tombèrent aux pieds de l’amiral, baisèrent ses mains et ses habits, et reconnurent un moment la souveraineté et presque la divinité du génie ; victimes hier de son obstination, aujourd’hui compagnons de sa constance, et resplendissants de la gloire qu’ils venaient de blasphémer ! Ainsi est faite l’humanité, persécutant les initiateurs, héritant de leurs victoires.

Pendant la cérémonie de la prise de possession, les habitants de l’île, d’abord retenus à distance par la terreur, puis attirés par cette curiosité instinctive, premier lien de l’homme à l’homme, s’étaient rapprochés. Ils s’interrogeaient entre eux sur les spectacles merveilleux de cette nuit et de cette aurore. Ces vaisseaux manœuvrant leurs voiles, leurs antennes, leurs vergues comme des membres immenses se déployant et se repliant à l’impulsion d’une pensée intérieure, leur avaient paru des êtres animés et