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HÉLOISE. — ABÉLARD.

» Je doute que personne puisse la lire ou l’entendre sans fondre en pleurs. »

Puis, faisant allusion à son exil nouveau et aux persécutions dont il est entouré à Saint-Gildas : « Au nom du Christ même qui semble encore nous protéger, dit-elle, nous qui sommes ses petites esclaves, comme nous sommes les vôtres, nous vous conjurons de nous informer par de fréquentes lettres des naufrages au milieu desquels vous êtes encore ballotté, afin que nous, qui vous restons seules au monde, nous puissions participer à votre douleur ou à votre consolation. Ordinairement c’est consoler un affligé que de s’affliger avec lui ; ces lettres nous seront d’autant plus douces qu’elles nous seront témoin que vous vous souvenez de nous !…

» Oh ! que les lettres des amis absents sont délicieuses à recevoir ! Si les portraits des amis séparés par la distance ravivent leur mémoire et trompent le regret par une vaine et décevante consolation, combien plus ces lettres, qui sont eux-mêmes, qui portent les véritables empreintes de l’ami absent !… Grâce soit rendue à Dieu de ce qu’au moins la haine ne nous défend pas d’être ainsi l’un à l’autre présents. »

Elle l’interpelle ensuite, par les soins qu’il doit comme père à ses religieuses, de leur prodiguer sans cesse ses lettres, ses avis, ses ordres ; mais on voit qu’elle se sert à son insu de ce prétexte sacré pour prendre elle-même la part principale et délicieuse de ce commerce. « Pensez, sans parler des autres, pensez, écrit-elle, à l’immense dette que vous avez contractée aussi envers moi. Peut-être alors, ajoute-t-elle avec une joie mal dérobée d’être la première et la dernière dans sa vie, peut-être alors ce que vous devez à toutes ces saintes femmes ensemble, l’acquitterez-vous plus facilement à une seule, à une seule qui ne vit que pour vous !… Et pourquoi, poursuit-elle avec un tendre et