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HÉLOÏSE. — ABÉLARD.

de sa vie, dont nous venons de donner les principaux traits dans ce récit.

Ce livre, confié a l’amitié, parvint et Héloïse. Il fit éclater, par les souvenirs qu’il retraçait, le cœur d’Héloïse, quinze ans muet. Un commerce de lettres tendres d’un côté, froides de l’autre, s’ouvrit entre les deux époux séparés par la main de Dieu et des hommes. La Sapho du christianisme y épanche dans une inexprimable passion cette flamme d’un amour purifié par le sacrifice, et que rien ne peut éteindre sur la terre, parce qu’il ne s’alimente que du feu du ciel.

L’adresse seule de ces lettres d’Héloïse est un hymne de tendresse infinie, parce que cette suscription trahit l’hésitation passionnée d’une main de femme qui cherche, qui trouve et qui rejette tour à tour tous les noms capables d’exprimer les plus forts attachements de l’âme, sans pouvoir en trouver un qui la satisfasse, et qui finit par les accumuler tous ensemble, afin qu’il n’y ait pas dans la nature une sorte de tendresse qui ne soit confondue dans la sienne :

« A son seigneur, ou plutôt à son père, son esclave, ou plutôt sa fille, son épouse, ou plutôt sa sœur ; à Abélard, Héloïse ! »

« Quelqu’un, dit-elle dans la première de ces lettres, aussitôt après avoir lu le récit de leurs amours par Abélard ; quelqu’un m’a apporté naguère par hasard l’histoire que vous venez de confier à un ami. Aussitôt que j’eus reconnu aux premiers mots de la suscription qu’elle venait de vous, j’ai commencé à la lire avec d’autant plus de précipitation que j’adore davantage celui qui l’a écrite ! Celui-la que j’ai perdu, je croyais le retrouver, comme si son image avait dû se reproduire et s’incarner dans les signes de sa main ; elles sont bien tristes et bien amères, ô mon unique trésor, les lignes de ce récit qui retrace notre conversion et nos inépuisables malheurs.