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CHRISTOPHE COLOMB.

seul subir les lenteurs, les hasards, et peut-être les incrédulités à la cour d’Isabelle et de Ferdinand.

On assure qu’avant de se rendre en Espagne, il avait cru devoir, comme Italien et comme Génois, offrir d’abord sa découverte à Gênes, sa patrie, et au sénat de Venise ; mais que ces deux républiques, occupées d’ambitions plus rapprochées et de rivalités plus urgentes, avaient répondu à ses sollicitations par des froideurs et des refus.

Le prieur du monastère de la Rabida était plus versé dans les sciences relatives à la navigation qu’il n’appartenait à un homme de sa profession. Son monastère, d’où l’on voyait la mer, et voisin du petit port de Palos, un des plus actifs alors de l’Andalousie, avait mis le moine en société habituelle avec les navigateurs et les armateurs de cette petite ville, uniquement adonnée à la marine. Ses études, pendant qu’il avait habité la capitale et la cour, avaient été tournées vers les sciences naturelles et vers les problèmes qui s’agitaient alors dans les esprits. Il s’émut d’abord de pitié, et bientôt après d’enthousiasme et de conviction dans ses entretiens du jour avec Colomb, pour un homme qui lui parut si supérieur à sa fortune. Il vit en lui un de ces envoyés de Dieu, qui sont repoussés du seuil des princes ou des cités, où ils apportent dans des mains indigentes des trésors invisibles de vérités. La religion comprit le génie, une révélation qui veut comme l’autre ses fidèles. Il se sentit porté à être un de ces fidèles qui participent à ces révélations du génie, non par la découverte, mais par la foi. La Providence envoie presque toujours un de ces croyants aux hommes supérieurs pour les empêcher de se décourager de l’incrédulité, de la dureté ou des persécutions du vulgaire : ils sont la plus sublime forme de l’amitié, les amis de la vérité méconnue, les confidents de l’avenir impossible.

Juan Pères se sentit prédestiné par le ciel à devenir, du