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JEANNE D’ARC.

les gens du château at ce secours des bourreaux de son âme. Elle l’aperçut, et lui dit avec un doux reproche : « Évêque, je meurs par vous ! » Elle reconnut aussi parmi les assistants un des prédicateurs qui lui avait fait les admonitions avant le procès, et avec lequel elle avait contracté cette familiarité du prisonnier envers ceux qui les visitent : « Ah ! maître Pierre, lui dit-elle tout en larmes, où serai-je ce soir ? »

On lui rendit les habillements de femme pour le supplice. On l’y conduisit sur une charrette, entre son confesseur et un huissier.

Un moine charitable la suivit a pied, priant pour son âme, et représentant la dernière pitié au pied de l’échafaud. Il se nommait Isambart. L’histoire doit son nom a ceux qui savent aimer jusqu’à la mort. Le fourbe Loiseleur, employé par l’évêque pour arracher à Jeanne ses secrets sous le semblant de la confession, monta avant le départ sur la charrette, pour obtenir de sa victime le pardon de sa trahison. Les Anglais eux-mêmes l’ameutèrent à la vue de ce traître, et le couvrirent de huées et de menaces. Versatilité naturelle aux foules, qui veulent bien frapper, mais non trahir. « O Rouen, Rouen, disait-elle en se lamentant, est-ce donc ici que je dois mourir ? » Elle s’étonnait que le ciel la laissât mourir si jeune, avant qu’elle eût fini son œuvre et que la France tout entière fût purgée par elle de ses oppresseurs ; elle attendait incertaine un miracle ou la mort jusqu’au pied du bûcher.

L’évêque, l’inquisiteur, l’université, les docteurs, l’attendaient sur une estrade en face d’un monticule de plâtre, recouvert de bois sec préparé pour le sacrifice humain.

Quand le char se fut arrêté au pied de l’estrade : « Va en paix, Jeanne, lui dit, au nom des juges, le prédicateur ; l’Église ne peut plus te défendre, elle t’abandonne au bras séculier ! » Excuse cruelle de ceux qui avaient prononcé le