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HÉLOISE. — ABÉLARD.

se consacra pour toujours, devant le peuple assemblé, au Dieu qui reçut son serment ! »

Tel est le récit du sacrifice d’Héloïse par Abélard lui-même. L’ombre du monastère la couvrit ensuite pendant de longues années ; flamme recouverte, jamais éteinte. Abélard porta dans le monastère de Saint-Denis son inquiétude, ses talents, vivifiés encore par la concentration sur l’étude, son ambition, qui n’avait fait que changer de nature, et ce zèle intolérant des réformes, par lequel les nouveaux prosélytes croient racheter trop souvent leurs égarements. Les moines relâchés de Saint-Denis, et l’abbé qui tolérait et partageait leurs désordres, s’irritèrent de ses admonitions ; il fut obligé d’aller porter ses sévérités et ses innovations dans un couvent voisin, dépendant de l’abbaye de Saint-Denis, à Deuil. Il y releva sa chaire de philosophie, et remplit de nouveau les écoles et l’Église du bruit de ses doctrines et de ses nouveautés en matière de foi.

L’Église s’offensa de ces hardiesses, comme les moines s’étaient offensés de ses objurgations. On ne sait quel écrit subtil et quintessencié sur l’unité et la trinité"", dans lequel il expliquait ce mystère sans avoir besoin d’appeler la foi en aide à l’insuffisance des raisonnements humains, servit de prétexte à ses ennemis ligués contre cet importun novateur. Un concile le cita devant lui à Soissons, pour rendre compte de ses doctrines. Il y fut condamné solennellement. On le relégua, pour expier son erreur, dans le monastère cloîtré de Saint-Médard ! Il y entra le désespoir dans le cœur. « La trahison de Fulbert, s’écrie-t-il, me paraît moins intolérable que ma nouvelle injure ! » Le légat du pape, plus impartial et plus tolérant, lui remit promptement sa peine.

Rentré dans l’abbaye de Saint-Denis, il y retrouva, dans les moines, ses ennemis implacables. Ils ne tardèrent